La situation sécuritaire au Nord-Kivu n'est pas uniforme dans l'ensemble de la province, ni représentative de la situation dans les autres provinces de la RDC où l'ITSCI travaille. Il est essentiel de comprendre cette variation pour quiconque évalue les risques dans la région, car elle met en évidence la nécessité d'une approche nuancée visant à éviter un abandon des chaînes d'approvisionement par les entreprises dans la région des Grands Lacs.

ITSCI dans le territoire de Masisi

Dans la province du Nord-Kivu, ITSCI opère dans trois territoires : Lubero, Masisi et Walikale (voir la carte en annexe). Depuis notre mise à jour en mai 2024[1], nos activités restent suspendues dans le territoire de Masisi [2]Le M23 contrôle encore une grande partie du territoire, notamment les villes commerciales de Rubaya et Ngungu. Malgré l'accord de cessez-le-feu actuellement en vigueur entre l'armée nationale congolaise, les FARDC, et le M23, des combats sporadiques ont récemment été signalés sur certaines lignes de front du Masisi entre le M23 et des groupes armés locaux non étatiques connus sous le nom de "Wazalendo" ou "Volontaires pour la défense de la patrie".

Les zones situées à l'ouest du territoire de Masisi et à proximité de la frontière avec le territoire de Walikale, y compris les villes commerçantes de Masisi Centre et Nyabiondo, restent à ce jour sous le contrôle de l'État. Cela permet à un agent de terrain ITSCI d'être présent dans cette zone et de continuer à surveiller la situation, y compris la sécurité sur et autour des sites miniers, ainsi que de collecter et de rapporter des informations.

Bien que la présence du groupe armé non étatique Alliance des patriotes pour un Congo libre et souverain (APCLS) soit signalée dans les zones contrôlées par l'État sur le territoire de Masisi, il n'y a actuellement aucun rapport sur l'interférence de l'APCLS dans les activités minières. Ceci résulte des engagements par l'ITSCI et d'autres parties prenantes locales au début de l'année pour sensibiliser les dirigeants du Wazalendo, y compris l'APCLS, aux procédures de traçabilité et de devoir de diligence, après quoi ils se sont engagés à ne pas interférer dans les activités minières et à ne pas percevoir de taxes illégales sur minerais.

La situation au Nord-Kivu est complexe et sa représentation peut souvent omettre les nuances de l'histoire locale, de la politique, des tensions ethniques et des différences culturelles qui influencent le conflit. Pour comprendre la région, il est nécessaire d'apprécier la manière dont ces facteurs interagissent. Les réactions de la société civile locale et d'autres sources crédibles indiquent que la situation dans les zones contrôlées par le M23 peut être plus calme qu'il n'y paraît et souligne que la résolution de la situation actuelle à Masisi nécessite une approche holistique qui vise à résoudre des problèmes structurels sous-jacents tels qu'une faible gouvernance et fragilité des institutions.[3]

 

Risques liés à la fraude minerais à partir du territoire de Masisi

Malgré la suspension de l'étiquetage sur tous les sites du territoire de Masisi, il y a eu des rapports de creuseurs artisanaux poursuivant leurs activités sur les sites miniers du territoire de Masisi, et des cas de fraude minière ont été signalés. C'est également le cas sur le site minier non-ITSCI de l'ex-PE4731, où des activités minières seraient en cours. Nous continuons à documenter ces risques de manière transparente via notre mécanisme de rapport d'incidents et à partager ces informations avec nos membres et les parties prenantes locales, y compris le gouvernement et les services de l'État.

Par exemple, nous avons documenté 18 incidents concernant la poursuite des activités minières pendant les suspensions de l'étiquetage en 2023 et 2024 dans le territoire de Masisi, le transport de minerais non étiquetés et/ou des cas de fraude sur les minerais . Il s'agit notamment de 36 tonnes de minerais saisies par les autorités du Nord-Kivu, également signalées par le Groupe d'experts sur la RDC (GdE), et 40 autres tonnes de minerais stockées sur des sites miniers au début de 2024.[4],[5]

La situation actuelle entraîne des risques pour les sites suivis par l'ITSCI dans les régions voisines, en particulier dans d'autres territoires du Nord-Kivu, dans la province du Sud-Kivu et au Rwanda. Jusqu'à présent, les sites miniers suivis par l'ITSCI au Rwanda n'ont pas montré de changements sans précédent dans les niveaux de production. Cependant, nous reconnaissons les risques de fraude transfrontalière et continuons à surveiller de très près les activités minières dans ces régions et à signaler les risques de plausibilité, tout en mettant en œuvre des contrôles accrus avec les sociétés minières et les exportateurs locaux. Un communiqué de suivi fournira des informations sur nos mécanismes existants de contrôle des étiquettes ainsi que sur les nouvelles actions introduites par l'ITSCI.

Cependant, les rapports issus de nos propres observations ainsi que d'autres sources locales indiquent que les activités minières et donc les les niveaux de production dans les sites miniers de 3T dans le territoire de Masisi ont généralement diminué. Plusieurs facteurs expliquent cette tendance : il n'existe actuellement aucun moyen légal de commercialiser les minerais car les agents de l'État responsables de l'étiquetage des minerais  et l'ITSCI ont suspendu leurs activités, et il semblerait que de nombreux creuseurs et négociants aient quitté la région.

 

Activités minières en cours et ITSCI surveillance dans le territoire de Walikale

Dans le territoire de Walikale, voisin des territoires de Masisi et de Lubero, la situation est actuellement calme. Les activités minières se poursuivent normalement, y compris l'étiquetage des minerais par les services de l'État, sans fluctuation inattendue des niveaux de production. L'équipe de terrain ITSCI dans le territoire de Walikale continue à soutenir activement les parties prenantes locales, en facilitant les réunions multipartites et en organisant des sessions de renforcement des capacités pour les agents de l'État et d'autres parties prenantes afin de les sensibiliser à de nombreux sujets, notamment le devoir de diligence, les procédures de traçabilité et la gestion des risques.

Session de formation avec les agents de SAEMAPE, territoire de Walikale, juillet 2024

Situation fragile dans le territoire de Lubero

Au cours du mois dernier, malgré le cessez-le-feu, des avancées de groupes armés non étatiques, dont l'ADF-Nalu et le M23, ont été signalées dans le territoire de Lubero, prenant le contrôle de certaines localités. Bien qu'il n'y ait eu jusqu'à présent aucun rapport d'interférence directe dans le commerce des minerais3T ou de contrôle des sites miniers suivis par l'ITSCI, la présence de ces groupes armés a conduit la population locale, y compris les creuseurs artisanaux, à fuir la région, ce qui a entraîné une forte diminution des activités minières 3T.

D'autres minerais , tels que l'or, sont plus abondants que les 3T dans le territoire de Lubero et la production de 3T a toujours été marginale par rapport aux territoires voisins. Par conséquent, la situation actuelle à Lubero a un impact négligeable sur les chaînes d'approvisionnement en minerais 3T minerais au Nord-Kivu et en RDC en général. ITSCI continue d'être présente sur le terrain à Lubero, de suivre la situation de près et de signaler les incidents lorsqu'ils se produisent.

 

Les autres provinces de la RDC ne sont pas affectées par la situation dans le Masisi

Outre les provinces du Nord et du Sud-Kivu mentionnées ci-dessus, l'ITSCI est également mis en œuvre dans d'autres provinces de la RDC, notamment le Maniema, le Haut-Katanga, le Tanganyika, le Haut-Lomami et le Lualaba. Les activités minières dans ces provinces ne sont pas affectées par le conflit actuel dans le territoire de Masisi.L'étiquetage de minerais par les services de l'État, le suivi continu par l'équipe de terrain ITSCI, l'établissement de rapports sur les risques et les discussions au sein des comités multipartites locaux et provinciaux se déroulent normalement.

L'ITSCI ne soutient pas un désengagement généralisé de la RDC ou de la région des Grands Lacs en raison de la suspension actuelle de l'étiquetage ou du conflit armé dans le territoire de Masisi. Une telle approche d'abandon des chaînes d'approvisionnement par les entreprises a malheureusement pour effet de stigmatiser le secteur minier artisanal dans les zones touchées par le conflit et à haut risque et de causer des dommages non nécessaires aux communautés minières locales.

 

Le rôle de l'ITSCI

La suspension des activités de l'ITSCI n'est pas un processus spécifique au Nord-Kivu ou à la situation actuelle. En tant qu'initiative de facilitation, nous travaillons depuis 15 ans à la mise en œuvre du guide de l'OCDE dans les zones touchées par un conflit et à haut risque, grâce à un engagement coopératif avec les parties prenantes locales, nationales et internationales, et suivons des lignes directrices claires sur les risques d'interférence des groupes armés. La suspension de l'étiquetage par l'ITSCI peut s'avérer nécessaire lorsque les risques ne peuvent être atténués et que le désengagement est la seule action appropriée, conformément aux recommandations des lignes directrices de l'OCDE. Ce processus est coordonné avec les gouvernements locaux responsables de la mise en œuvre de la traçabilité.

Nous continuons à nous engager auprès des parties prenantes locales y compris les opérateurs miniers et les services de l'État au Nord-Kivu, à suivre de près la situation et à rechercher des mesures et des solutions pour les activités minières dans les zones contrôlées par l'État, afin d' éviter un désengagement de la région qui serait défavorable aux communautés locales. Nous souhaitons mettre davantage l'accent sur la nécessité de devoir de diligence raisonnable de la part des entreprises et sur les mesures suggérées lorsque nous communiquons nos informations de première main et à jour sur les risques.  L'ITSCI continue également d'aider les entreprises à exercer leur devoir de diligence, en leur fournissant régulièrement des mises à jour et des conseils sur la situation au Nord-Kivu, par exemple par le biais d'un engagement direct avec les fonderies membres de l'ITSCI et de sessions de formation pour les exportateurs du pays sur la gestion des risques au Rwanda et en RDC. Nous continuerons à apporter un soutien ciblé à l'avenir.

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A propos de l'ITSCI

L'ITSCI aide les entreprises à mettre en oeuvre leurs responsabilités en matière de devoir de diligence, conformément aux recommandations des lignes directrices de l'OCDE, en mettant à leur disposition des informations de première main uniques et crédibles, afin de les aider à prendre des décisions appropriées et efficaces. Le devoir de diligence est un processus dynamique et continu qui s'améliore au fil du temps. Nos procédures sont claires quant aux défis posés par l'approvisionnement de minerais auprès de creuseurs artisanaux et à petite échelle dans la région des Grands Lacs africains. Les rapports mensuels que reçoivent tous les membres à part entière de l'ITSCI contiennent des commentaires détaillés sur les activités et des mises à jour sur la production, la sécurité et les développements politiques ou d'autres questions pertinentes pour les chaînes d'approvisionnement 3T dans le cadre du programme.[6] Nous sommes fermement convaincus qu'un engagement continu et significatif dans les zones touchées par les conflits et à haut risque est vital pour éviter un abandon des chaînes d'approvisionnements par les entreprises qui peut avoir un impact négatif sur les communautés locales.

Ressources complémentaires pour plus d'informations

Références

[1] https://www.itsci.org/2024/05/08/suspension-of-itsci-activities-in-masisi-territory-following-the-presence-of-non-state-armed-group-m23-in-rubaya-town/

[2] Pour rappel, les activités ont été suspendues à deux reprises en 2023 pour des raisons de sécurité : Suspension en mars 2023, reprise en mai 2023, suspension en décembre 2023, reprise en avril 2024.

[3] Michael Rubin (2024) Le M23 n'est pas le problème, c'est la mauvaise gouvernance en République démocratique du Congo qui l'est | American Enterprise Institute. Disponible à l'adresse suivante https://www.aei.org/op-eds/m23-isnt-the-problem-poor-governance-in-the-democratic-republic-of-congo-is/

[4] Groupe d'experts des Nations unies (2024) Rapport final du groupe d'experts sur la République démocratique du Congo, https://documents.un.org/doc/undoc/gen/n24/118/80/pdf/n2411880.pdf

[5] Cette liste n'est pas exhaustive. ITSCI a ouvert d'autres rapports d'incidents indiquant des volumes de minerais non marqués extraits malgré la suspension des activités et ultérieurement identifiés et signalés par les services de l'État lors de visites d'évaluation conjointes avec ITSCI.

[6] Kumi (2023) Évaluation de l'alignement de l'OCDE ITSCI, https://www.itsci.org/wp-content/uploads/2023/06/ITSCI-Alignment-Assessment-report.pdf . Page 13

 

Annexe : Carte du Nord-Kivu et de ses territoires

La RDC est un pays vaste et diversifié, couvrant une vaste région d'Afrique centrale, et le plus grand pays d'Afrique subsaharienne. Le Nord-Kivu couvre une superficie d'environ 60 000 km2, soit près de deux fois la Belgique.